L'œuvre poétique

La poésie de Max Rouquette a été placée dès le départ sous le signe des songes : ses deux premiers recueils, Les Songes du matin, en 1937, et Songes de la nuit (1942) jettent sur le monde un regard qui est celui du rêveur. Pour Rouquette, comme pour Gaston Bachelard, qui commence alors à publier chez José Corti sa série d’ouvrages consacrés aux rêveries élémentaires des poètes, le poème est une façon d’accéder à la présence première du monde. À sa réalité originelle, faite de minéraux, de végétaux, et d’animaux, sans lesquels l’homme ne serait pas, et dont le poète, en retour, se trouve là pour être l’interprète à la fois scrupuleux et disponible. La voie des songes est celle qui, de l’herbe à l’oiseau, du vent à l’eau secrète des sources, de l’arbre aux espaces infinis de la nuit, permet d’accéder, par une sorte d’ascèse située à l’opposé de toute mystique transcendante, au cœur des êtres et des choses. À l’énigme de cette force d’occupation de l’espace qui les définit et les habite, et dont l’être humain perçoit qu’elle lui est fondamentalement antérieure et indifférente, et qu’en tous points elle le dépasse.

Le troisième livre de poèmes de Rouquette, La Pitié du matin (1962), dit avec une plus grande profondeur les capacités de résonance à la fois émotives et musicales de cet univers où Dieu n’est que néant et désertion : cette souffrance illimitée et cette expérience existentielle de l’absence qui se trouvent au centre du grand recueil de la maturité, Le Tourment de la licorne (1988).

Élargie aux dimensions par définition inimaginables du monde dans lequel elle se meut et crée ses propres musiques, la poésie de Max Rouquette explore les accords du langage avec cette conscience aiguë du néant. Elle y trouve, comme au fond d’un puits de ténèbres, les lumières capables de trouer sa nuit originelle et de rendre sensibles aux autres les inflexions d’une voix à la fois solitaire et profondément humaine.

Les deux Bestiaires, comme le recueil À mille années-lumière (1995) et, posthume, celui des Poèmes en prose (à paraître en 2008), rassemblent quelques-uns des diamants exhumés au cours de ces descentes au plus enfoui des abîmes du corps humain et de la présence universelle. On y découvre un poète toujours insatisfait, sans relâche attaché à traduire en images et en musiques nouvelles les songes dont il n’a jamais cessé d’être l’hôte inspiré.

(Ph.Gardy)

 


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