Le théâtre de Max Rouquette

On meurt beaucoup dans Vert Paradis, cette prose narrative et poétique à laquelle Max Rouquette doit l'essentiel de sa notoriété. On ment beaucoup dans son théâtre, cette part moins connue de son œuvre.

Vert Paradis nous raconte de nombreuses agonies solitaires, tragiques mais sereines, où l'être retourne au néant dans le décor somptueux des garrigues. Cette fascination devant l'énigme de l'être, le théâtre de Max Rouquette la déplace de la nature à l'homme. L'âme humaine remplace la garrigue pour servir de matière au scepticisme, sinon au nihilisme de l'écrivain. Sur la scène rouquettienne, on ment aux autres et à soi-même, on trompe et on se trompe, dans un jeu de masques et de miroirs qui rappelle tantôt les tréteaux baroques, tantôt le théâtre pirandellien. Un jeu qui constitue quelque chose comme une comédie ontologique, comme on parle de conte philosophique. Ses pièces s'achèvent sur l'erreur, le mensonge ou la mise à jour d'une cruelle vérité intime, mais presque jamais sur la mort.

Le théâtre de Max Rouquette procède d'une visée ambitieuse : la volonté de créer en occitan « un théâtre issu du peuple, nourri de ses substances, imprégné de ses traditions, pénétré de sa magie, imbu de sa froide cruauté ». Très tôt, pendant la guerre, Max Rouquette trouve un modèle dans le théâtre de l'Espagnol Federico Garcia Lorca et de l'Irlandais John Millington Synge, qui associe comédie et poésie, voire féerie. La Pastorale des voleurs, La Comédie du miroir, La Rose bengaline (inédite dans les deux langues) relèvent de cette inspiration féerique. D'autres pièces comme Le Glossaire rappellent le théâtre de l'absurde, les personnages finissant par s'abolir dans leur propre discours. Médée, dont la mise en scène originale de Jean-Louis Martinelli a connu un succès national, avec ses acteurs du Sahel, reprend la pièce d'Euripide en faisant de l'héroïne une caraque (une gitane) vouée au vide et à l'errance, à l'exil, à tous les vents de la désolation.

Dans Vert Paradis les hommes sont en général dépeints en solitaires. Le théâtre rouquettien franchit un seuil, celui de la vie sociale. Il montre l'homme en contact avec les autres, notamment dans les conflits de l'amour. Il propose, de façon indirecte, par une sorte de mise en abîme, une remontée de l'univers naturel par la bouche des personnages. Ainsi prose narrative et ouvre théâtrale s'imbriquent et se complètent pour une même interrogation, posée en parole occitane, sur l'être et son mystère.

Quel théâtre occitan est-il encore possible de créer aujourd'hui sur une scène ? Max Rouquette a déjà été beaucoup joué en français, pas assez, certes. Reste encore à le faire découvrir dans sa langue d'élection. C'est le défi posthume qu'il nous lance, au moment où les cultures les plus lointaines, dans leurs langues d'origine, ont à juste titre déjà droit de cité sur nos scènes.

(J-C.Forêt)

 


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